Ce que je garde en tête, en tant que psychologue:
« Je pense que j’interprète surtout pour faire connaître au patient les limites de ma compréhension. Le principe est le suivant : c’est le patient seul qui détient les réponses.
Nous pouvons ou non le rendre capable de cerner ce qui est connu ou d’en devenir conscient en l’acceptant »
(Winnicott, 1975, p. 163)
Winnicott et le squiggle
La consultation thérapeutique typique de Winnicott commençait systématiquement par la réalisation d’un "squiggle", mot anglais qui peut se traduire par "gribouillis rapides". Il s’agit d’un jeu entre le thérapeute et l’enfant, chacun ajoutant à tour de rôle une partie aux éléments déjà dessinés. Selon Winnicott il permet à l'enfant de " croire qu’il peut être aidé et à avoir confiance en celui qui offre son aide » (2015, p 29).
Le thérapeute contribue au jeu de façon symétrique « avec sa propre ingéniosité presque tout autant que l’enfant » (2015, p 32). Pour l’auteur, il n’est pas utile de proposer à l'enfant des interprétations sur ses productions. La valeur thérapeutique du squiggle réside surtout dans le partage des représentations qui émergent des gribouillis dessinés sur la feuille de papier.
Au fur à mesure l’enfant prend conscience de l’importance de ses productions et de ce que l'alliance et la confiance instaurées lui permettent d'exprimer.
Les consignes du jeu
Voici les consignes de réalisation du squiggle telles qu’elles sont données par Winnicott lui-même:
« Au moment approprié, après l’arrivée du patient, le plus souvent après avoir demandé au parent d’aller dans la salle d’attente, je dis à l’enfant : “Jouons à quelque chose. Je sais à quoi je voudrais jouer et je vais te montrer.” Il y a une table entre l’enfant et moi, avec du papier et deux crayons. Tout d’abord je prends des feuilles de papier et je les déchire en deux, donnant ainsi l’impression que ce que nous allons faire n’est pas vraiment important ; puis je commence à expliquer. Je dis : “Ce jeu auquel j’aime jouer n’a pas de règles. Je prends simplement mon crayon et je fais comme ça...”, je ferme probablement mes yeux et fais un gribouillis à l’aveugle. Je continue avec mon explication : “Montre-moi si ça ressemble à quelque chose pour toi ou si tu peux en faire quelque chose, et après tu fais la même chose pour moi et je verrai si je peux faire quelque chose du tien.” » (2015, p 29).
Un exemple de squiggle avec Eliot, 13 ans
Je témoigne ici de mon premier squiggle, réalisé avec Eliot 13 ans, qui m'autorise ici à partager notre production. Je déchire plusieurs feuilles en deux et demande à Eliot de choisir une couleur. J’en prends une autre.
Squiggle 1 : « un escargot »
Moi : "je te propose de faire un jeu. Regarde, je fais un gribouillis. A toi de voir si tu reconnais une image dedans."
Eliot : Mais tu as fait un chiffre, j’ai pas besoin de le transformer !
Moi : Vas-y essaie quand même.
Eliot : Attends je réfléchis…Ha ça y est. Essaie de deviner !
Moi : C’est un escargot ?
Eliot : Voilà bravo ! A moi.
A l’origine, je souhaitais intervenir a minima. Mais devant l’hésitation d’Eliot, je me prends à chercher avec lui. Je me place à ses côtés pour avoir la même perspective de la feuille. Finalement la solution qu’il trouve est très différente de celle que j’avais imaginée. Il me semble retrouver là un des bénéfices du squiggle énoncé par Winnicott : le sentiment partagé d’être associés dans la production imaginaire.
Je pense qu’Eliot a ressenti également cette symétrie lorsqu’il me félicite quand je devine sa représentation. Alors peut-être, ne se sent-il plus seul face à ce travail de symbolisation. Vraisemblablement, c’est à ce moment-là que se transforme l’effort d’interprétation en jeu, auquel il se prend.
« Bien que des opportunités apparaissent pour les remarques interprétatives, celles-ci peuvent être limitées au minimum, ou en fait, être délibérément exclues. » (Winniccott, 2015, 30). Je n’amène donc aucun commentaire particulier et obéit au « à moi ! ». A lui maintenant de me faire réfléchir.
Squiggle 2 : « un poisson… au bout d’une ligne »
Il trace son gribouillis d’un geste rapide. Je mets du temps à trouver une idée. Je remarque que cela le fait sourire.
Moi : Attends voir… Regarde c’est un poisson…
Eliot complète : ... au bout d’une ligne !
Moi : oui, (et je rajoute un trait représentant la ligne au bout de laquelle le poisson est accroché)
« Le fait que le praticien joue librement sa propre part dans l’échange de dessins a certainement une grande importance dans le succès de cette technique. Un tel procédé permet au patient de ne pas se sentir inférieur comme lorsqu’il est examiné par un médecin pour sa santé physique ou, comme quand on lui fait passer un test psychologique. » (Winnicott, 2015, p 32).
Squiggle 3 : « un cochon »
Moi : A mon tour. Eliot: Mais tu as encore fait un chiffre ! (Il tourne la feuille dans l’autre sens) Voilà ! Alors c’est quoi ? Moi : heu … Il redessine alors des boucles figurant de la queue d'un animal. Moi: Ah oui, un cochon !
Une nouvelle fois, Eliot me fait remarquer que c’est un chiffre. Exprime-t-il une rigidité, l’empêchant de penser ? Ou n’a-t-il pas envie de transformer la forme à qui il a d’ores et déjà attribué une signification ? Winnicott témoigne du fait que le squiggle plait souvent aux enfants qu’il qualifie de « paresseux » et qui surtout selon lui, éclairent sur le sens véritable de la paresse dans ce contexte:
« N’importe quel travail abîme ce qui commence comme un objet idéalisé. Un artiste peut estimer que le papier ou la toile sont trop beaux, qu’ils ne doivent pas être gâchés. Potentiellement, cela est un chef-d’œuvre. » (2015, p 34).
Références:
Winnicott, D.W. (2015). Le jeu du Squiggle. Journal de la psychanalyse de l'enfant, 2(2), 29-36.
Winnicott, D.W. 1975. Jeu et réalité, Paris, Gallimard.
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